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On fait de l’arbre une espèce de demi-dieu à condition qu’il soit « vénérable », « ancien ». Et les jeunes arbres, forcément porteurs de l’avenir, non ? photo Thomas Nazaret
Les arbres sont méchants.
Oui, les arbres sont méchants. Qu’ils soient ou pas de la même espèce. Même envers leurs propres petits. C’est une guerre terrible où la pitié n’existe pas. La guerre de l’eau, du sol, de l’air, de la lumière. Vous trouvez que ce sous-bois est joli parce qu’on peut s’y promener sans s’écorcher les jambes ? C’est juste parce que les grands arbres ont tout fait crever sous eux. Même leurs propres petits. On vous parle d’un humus vivant sous les feuilles mortes ? C’est un monde de coprophages, de mangeurs de cadavres et de parasites saprotrophes : insectes, invertébrés, bactéries, champignons. Des milliers d’espèces se délectent dans la pourriture, quand elles ne s’attaquent pas à ce qui est vivant, faisant disparaître les « vénérables » arbres, tels les ormes, les frênes et les platanes dans nos contrées.
Mon surmoi dans le sous-bois. Regardez ces jolis bouleaux, jeunes et vigoureux. Des tueurs, en fait. Dans le jargon forestier, on les nomme « les conquérants ». De beaux arbres ont été plantés sur une parcelle bien nettoyée avec suffisamment d’espace entre eux, et voilà que des dizaines de bouleaux, de saules marsault, de genêts et d’autres, à peine germés d’on ne sait où envahissent l’espace autour du petit arbre planté qui avait pourtant quelques années d’avance, puisqu’il vient de la pépinière. C’est un combat cruel : les bouleaux ont un programme spécial qui les fait pousser plus vite et plus haut, quitte à tout étouffer sous eux. Même les bouleaux se battent entre eux. Sur la dizaine qui cernent le petit arbre, il en reste trois qui percent vers la lumière, les autres deviennent rachitiques et vont finir comme le petit arbre planté : ils vont mourir. C’est une guerre impitoyable, un effroyable gâchis. Un jeune sapin se plie et se couche à cause de la neige ? Par chance il prend appui sur son pauvre voisin qui résiste et lui sert de tuteur. Le sapin tordu a de la chance, il survit, ses branches prennent le dessus et il finit par étouffer celui qui l’aidait. Les plantes buissonnantes, les herbacées aussi sont méchantes. Mais on n’en parle jamais, on préfère parler des arbres. Elles partent gagnantes : leurs racines sont programmées pour assoiffer les petits arbres. Quand elles perdent, c’est que les grands arbres les ont fait crever en les privant de soleil. Non contents de se livrer la guerre, les arbres sont masochistes. Ils pratiquent l’automutilation : une branche est trop à l’ombre, à cause des branches supérieures qui prennent toute la lumière ? Elle se dessèche et meurt.
Voilà maintenant que les arbres parlent. Que pensez-vous de ce vocabulaire à propos des arbres et de la forêt ? Guerre, concurrence, domination, méchanceté, mutilation, mort. La nature, présentée comme un système impitoyable, où la propre survie de chaque individu n’est assurée que par les armes dont il dispose, dans une logique de compétition absurde où la mort domine, à l’opposé d’une nature idéalisée où tout ne serait qu’harmonie et équilibre ? C’est choquant, n’est-ce pas. C’est juste que je souhaite vous montrer combien il est facile d’orienter un discours. Et je mets les esprits chagrins au défi de me prouver que les phénomènes décrits plus haut sont faux. Si ce n’est qu’ils sont biaisés ! Volontairement, bien sûr.
C’est que je suis fatigué de lire tous ces beaux discours à propos des arbres à qui on prête un vocabulaire affligeant. Les réseaux sociaux sont envahis de pages soi-disant écologistes consacrées aux arbres où des apprentis journalistes foncent tête baissée sur des « découvertes » qui n’ont d’extraordinaire que leurs titres pompeux et infantilisants, pendant que des vrais chercheurs sont au travail pour mieux comprendre l’extraordinaire complexité du milieu forestier. Voilà maintenant que les arbres parlent, qu’ils ont des sentiments, que les « mamans arbres prennent soin de leurs petits » (sic), qu’un Ernst Zuercher, ingénieur forestier suisse en promotion de son bouquin sur les arbres vante le « nombre d’or » sur une pomme de pin, la reliant aux pyramides égyptiennes et aux diamètres comparés de la Lune et de la Terre ! On invente une mythologie, on utilise les sentiments humains pour les transposer aux arbres. Voilà qu’on nous propose des séances de « sylvothérapie » au motif que « l’énergie des arbres » est communicative, qu’il existe désormais des listes délirantes d’arbres à étreindre selon les sentiments et les soins qu’on leur attribue. Avec des séances payantes, bien sûr. Même Francis Hallé, le « monsieur arbre » du moment, un scientifique pourtant reconnu pour ses travaux et sa vulgarisation, sans doute échaudé par la concurrence, y va de son « intelligence » des arbres alors qu’il la réfutait violemment il y a quelques années. On gagnerait pourtant à le lire attentivement, lui qui explique qu’il n’y a que 20% de vie dans un arbre et qu’il est plus pertinent de le considérer comme une « colonie de cellules » que comme un « individu ». Les réseaux sociaux se remplissent d’experts forestiers qui s’extasient devant une superbe chênaie débarrassée de son sous-bois, tout en montant une pétition contre l’Office National des Forêts parce qu’on a coupé la parcelle d’à côté, sans savoir que ces deux situations procèdent exactement de la même logique d’avenir. La vidéo d’une abatteuse en action dans une sapinière fait le tour du Web, présentée comme la pire machine de mort de tous les temps. On parle de massacre, on mélange les problématiques de déforestation des forêts primaires en affirmant qu’ici en France et en Europe c’est pareil, ce qui est totalement faux. On commente en citant les monstres Monsanto/Bayer (aucun rapport !)
Faire du fric avec les arbres. Livres, DVD, droits TV, conférences et stages : une faune de profiteurs exploite un public crédule et inquiet tout en promouvant des intentions qui confinent au sectarisme. Après s’en être pris à l’agriculture de sorte que tout débat sur le sujet est biaisé, c’est au tour de la forêt et des forestiers d’y passer.
Anthropomorphisme (tout ramener à l’humain), généralisations abusives (non, tous les arbres ne sont pas des acacias africains qui préviennent leurs congénères lorsqu’ils sont abroutis), idéalisation de la nature (la nature c’est naturel !), appel à l’ancien (c’était mieux avant), argument d’autorité (je suis ingénieur forestier et j’ai un livre à vendre) autant de sophismes affligeants où le public est pris pour demeuré et les forestiers pour d’infâmes productivistes. La promotion du film documentaire « l’intelligence des arbres » où le forestier Peter Wohlleben est à l’honneur amène son lot d’énormités « Les engins utilisés pour tracter le bois coupé tassent le sol de manière irrémédiable et il faut attendre la glaciation suivante pour que celui-ci retrouve ses qualités originelles. Ainsi, les chevaux sont de plus en plus préférés aux machines pour ces travaux de tractage. Moins de machines cela signifie également davantage d’emplois ». Ou encore, sur fond de « résistance » au grand Capital : « L’industrie forestière doit donc profondément se renouveler afin de ne pas continuer à taper à l’aveugle dans une ressource beaucoup plus complexe en profondeur qu’en apparence. Il ne suffit pas de replanter n’importe comment après avoir déboisé, c’est tout le système d’exploitation qui doit être refondé, en supprimant notamment la pratique des coupes claires, désastreuse pour les écosystèmes ». Les forestiers apprécieront. Quand la télévision dite d’investigation s’en mêle (il y a un créneau avec les arbres !), le documentaire commence bien sûr par un superbe plan de forêt avec une jolie allée centrale qui laisse passer les rayons du soleil. Si ce n’est…qu’il s’agit d’une futaie régulière de sapins, une plantation bien alignée, issue d’une coupe rase, et la jolie allée une éclaircie réalisée avec…une abatteuse. C’est quand même très beau, n’est-ce pas ? « Quand les arbres-mère sont blessés ou mourants, ils envoient aussi des messages de sagesse à la prochaine génération d’arbres ». Que font donc les arbres-pères ?
Il ne faudrait plus couper d’arbres, tout en vivant entouré d’objets en bois, parce que c’est un matériau « naturel » ! « Les recherches de Dr. Simard et Peter Wohlleben suggèrent que nous devrions laisser les arbres pousser de manière naturelle – laisser cohabiter jeunes et vieux, laisser pousser différentes espèces mélangées (en opposition à la monoculture) -, les laisser vieillir, les laisser s’occuper de leur progéniture (au lieu de tous les abattre lorsqu’ils ont le même âge) [sic !], et de manière plus générale, les traiter avec plus de respect et accepter leur individualité, plutôt que de les considérer comme des produits dans un esprit d’usine.»
Est-ce à dire que si les arbres sont intelligents, les gens sont bêtes ? On invoque la science pour aussitôt la piétiner. A propos du livre La Vie secrète des arbres, (plus d’ 1 million d’exemplaires vendus) de Peter Wohlleben : « Un monde mystérieux, où des individus nommés chênes, bouleaux ou pins communiquent grâce à un réseau comparable à Internet, aident leurs enfants à grandir et même... tombent amoureux! S’il s’appuie sur des études scientifiques, le gardien des bois leur attribue des caractéristiques humaines. « Les termes biologiques ou trop techniques, cela ennuie tout le monde et supprime l’émotion. Quand j’écris que les arbres allaitent leurs enfants, tout le monde comprend». Autant consulter la page Astro d’un magazine de salle d’attente parce qu’on s’intéresse à l’expansion de l’Univers. C’est comme si Hubert Reeves, un grand vulgarisateur de la cosmologie, nous assénait « les étoiles nous chantent de jolies chansons ». A quoi riment donc ces allégations qui se veulent poétiques mélangées grossièrement avec des contre-vérités, quand ce ne sont pas des mensonges grossiers ? Est-ce ainsi que l’information doit être partagée en direction du public, comme en bien d’autres domaines ? Est-ce à dire que si les arbres sont intelligents, les gens sont bêtes ? Ce serait céder aux nouveaux gourous de la forêt dont les intentions, autrement que mercantiles, laissent penser à une dérive sectaire qui exploite un attrait et une légitime inquiétude pour la préservation du milieu naturel. L’écologie, avant d’être une opinion toute faite, est une science. Il faut compter sur l’intelligence du public, justement, pour qu’il s’en approprie la connaissance et les enjeux.
Oui, on peut nourrir de sérieuses inquiétudes à propos de la forêt, qu’elle soit française ou d’ailleurs, mais on a d’abord besoin de savoir de quoi on parle. On ne peut pas vivre à 7 milliards d’humains et décider qu’on se passera désormais de planches. Non, les forestiers n’ont pas décidé de raser la forêt. La sylviculture est un des métiers où l’on est bien obligé d’admettre qu’il y a un futur et d’agir en conséquence. Pour que la forêt existe. Ni le savoir et la passion des métiers de la forêt, ni les formidables travaux de la recherche n’empêchent qu’on puisse aimer les arbres, la forêt, et tout ce qui s’y trouve, bien au contraire.
Les arbres ne sont ni méchants, ni gentils, ni bêtes, ni intelligents. Ils sont.
Raymond Gabriel, novembre 2017
Sources :
Les arbres parlent https://lareleveetlapeste.fr/arbres-se-parlent-ferions-mieux-de-ecouter/
Sur l’énergie des arbres, hallucinant de bêtise : http://www.creer-son-bien-etre.org/enlacer-un-arbre-pour-capter-son-energie-effets-reconnus-par-la-science
N’oubliez pas de remercier les arbres : http://elenarou.fr/sylvotherapie-lart-de-caliner-arbres.html
Aveuglé par la science… http://www.espritsciencemetaphysiques.com/la-science-prouve-quetreindre-des-arbres-est-bon-pour-la-sante.html
Les mamans arbres allaitent leurs petits : https://positivr.fr/intelligence-arbres-allaitement-documentaire/
Un ramassis de bêtises : https://www.macroeditions.com/blog/sante-et-bien-etre/20-choses-sur-les-arbres-que-vous-ignorez-sur-les-arbres-peter-wohlleben
Les arbres font des bébés. https://www.salamandre.net/article/comment-les-arbres-font-des-bebes/
Des forestiers, des scientifiques réagissent :
Merci pour la relecture et leurs conseils à Pascale, Geneviève Sauvé, Gilles Weiskircher