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un livre-choc : la biodiversité avec ou sans l'homme ?

Une recension du livre de Christian Lévêque

la biodiversité avec ou sans l’homme ?

Réflexions d’un écologue sur la protection de la nature en France

Editions Quae, 2017

 

(Extrait de la quatrième de couverture) Ce que nous appelons « nature » en France est en réalité le produit des activités humaines et de processus écologiques spontanés depuis des milliers d’années. (…) L’auteur pose la question du pilotage des dynamiques de cette nature, soumise à de nouvelles pratiques agricoles, à l’urbanisation, au réchauffement climatique. (…) Il faut sortir du « prêt-à-penser » catastrophiste et tenir compte aussi des succès dans nos relations avec la nature. »

Christian Lévêque, directeur de recherches émérite de l’IRD, président honoraire de l’Académie d’agriculture de France, membre de l’Académie des sciences d’outre-mer est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’écologie et la biodiversité.

 

 

« Je le dis tout net ».

Dès l’avant-propos, on est prévenus : non, tout ne va pas bien dans la relation homme-nature, mais il ne faut pas se laisser aveugler et oser regarder la réalité.

« Je le dis tout net » : l’auteur refuse d’inscrire l’espèce humaine à la tête des nuisibles qui détruisent la nature, or c’est ce qui préside à nombre de sujets dès qu’il s’agit de biodiversité. L’homme doit aussi se protéger de la nature ! Il y a autant de visions de la nature que d’individus sur Terre. Il n’y a aucun sens à juger que la nature soit bonne…ou mauvaise.

 

La biodiversité, « mot-valise ».

La biodiversité, « mot-valise », est prise en otage, tout en n’ayant pas vraiment de définition scientifique. Elle est brandie jusqu’aux plus hauts niveaux de l’ONU, entre ONG environnementales « gendarmes de la nature » et intérêts industriels. D’autres ONG (et idéologies plus ou moins masquées) en profitent pour distiller l’idée d’une nature parfaite, sans l’homme. De plus, nous devons en permanence affronter un autre problème et il est loin d’être résolu : rêver d’une « nature vierge » tout en aspirant à une vie « agréable mais sécurisée » n'est pas chose facile.

Mesurer la biodiversité est tout sauf aisé. Ceux qui avancent des chiffres, à propos d’espèces emblématiques (oiseaux, insectes, poissons…) devraient faire preuve de prudence. S’inquiète-t-on de la disparition des parasites qui représentent vraisemblablement la moitié des espèces ? 99%, peut-être plus, des espèces ayant vécu sur Terre auraient disparu au cours de l’évolution. Le milieu « naturel » que nous connaissons en Europe n’est âgé que de 12 000 ans, ce qui explique sa relative pauvreté par rapport aux zones tropicales qui ont été épargnées par les glaciations, qualifiées par l’auteur de « catastrophe écologique » à propos de laquelle les humains ne sont pour rien !

 

Derrière l'arbre de la biodiversité se cache une forêt.

 « Hasard et conjoncture, nécessité et adaptation sont les mots-clés de la science écologique ». L’idée d’un équilibre qui préside à bien des spéculations est un leurre, alors que nous devrions adopter une logique de dynamique. La nature n’est pas stable. Elle est en mouvement.

Les termes « climax » et « résilience » sont « ancrés à la notion de stabilité », un état initial de la nature autant qu’une capacité à se réparer. Ce sont des leurres qui empêchent de considérer la nature dans sa dynamique. Le réchauffement climatique devrait pourtant nous questionner : rien ne sera plus comme avant. N’est-il pas vain, pour ne pas dire contre-nature, de vouloir conserver la biosphère alors qu’elle évolue, et nous avec ?  

Le rôle des humains est indéniable, combiné aux processus spontanés de ce que nous nommons « la nature ». Les introductions d’espèces ont commencé dès l’Antiquité et personne ne s’en est privé. (40% des poissons de rivière). Les premiers défrichements commencent il y a 4000 ans. Le coquelicot tant réclamé par certains qui en font le symbole d’une nature préservées de pesticides et d’agriculteurs productivistes est une espèce (parmi d’autres) introduite involontairement du Moyen Orient en même temps que des céréales par les humains il y a 4500 ans. Selon le dogme de l’écologie, ils sont à considérer comme invasifs et n’ont rien à faire dans nos écosystèmes !

A l’exception des plus hautes montagnes, il n’est plus un mètre carré qui n’ait été transformé par les humains. Il est presque impossible de décrire un « milieu naturel » sans y voir la trace des hommes !

Si on veut s’émouvoir de la perte de ces milieux, il n’y a pas que les modèles agricoles qualifiés d’intensifs qui sont à remettre en cause : l’urbanisation fait à ce titre des ravages : 85 000 hectares annuels, 9 % du territoire en 2010, faisant des espaces forestiers des « variables d’ajustement ».

 

La biodiversité est-elle réellement menacée en France ?

Perte ou modification ? D’après l’auteur, il y a une « propension à dramatiser », avec des amalgames relatifs à d’autres pays. « On s’en délecte [de la perte de biodiversité] car la dramatisation est porteuse d’ouverture médiatique ».

La disparition des grands animaux (la mégafaune) à travers les siècles n’est pas forcément le fait des humains. Les manuels d’écologie se félicitent du rôle des animaux dans la dispersion et l’introduction d’espèces nouvelles (par exemple un oiseau « sème » la graine d’un arbre par sa déjection), « mais pas l’action de l’homme ».

(Qui s’offusque aujourd’hui de consommer patates, maïs, tomates, haricots, et même des céréales, toutes des espèces transcontinentales ? Les marronniers, les platanes, les fleurs d’ornement et autres plantes exotiques, faut-il renvoyer les espèces animales et végétales dans leurs biotopes d’origine ou considérer l’enrichissement du nôtre ?).

 

« une coproduction entre processus spontanés et activités humaines ».

On ne peut réclamer l’arrêt de la consommation de viande d’élevage et voir disparaître bocages et zones de moyenne montagne. Nos modes de consommation ont des conséquences.  Il y en a des bonnes, et des moins bonnes. 12 millions de chats impactent sévèrement des millions d’animaux sauvages ! Lorsqu’il s’agit d’éradiquer rats, moustiques, serpents venimeux, bactéries nuisibles…virus, les arguments des protecteurs de la nature font preuve « d’une relation particulièrement schizophrène ».La « naturalité », le caractère « sauvage » est un concept qui a évolué au fil des siècles. Ce n’est qu’au 19e siècle qu’il prend cette tournure « romantique ». Et en même temps, les représentations anciennes sont toujours présentes : la  nature ne doit pas être « un chaos », on lui réclame la sécurité, voire l’activité ludique. 

Le paradis n’est pas sauvage, il est fantasmé.

 

La relation homme-nature fait l’objet de nombreux clichés.

« L’homme n’est plus un animal sauvage, il s’est donné les moyens à la fois de tirer le meilleur profit de la nature et de s’en protéger ». Les zones humides aujourd’hui si préservées furent l’objet d’un edit d’assèchement par Henri IV. A l’inverse d’immenses zones comme la Camargue ont été totalement transformées par les humains qu’il convient aujourd’hui de protéger comme étant « naturelles », devenant parc naturel régional ! Faut-il couper la forêt des Landes parce qu’elle a fait l’objet d’un programme autoritaire de valorisation par Napoléon III ? Fallait-il renoncer à vouloir produire ce bois si précieux dont on manquait cruellement, ce qui est toujours d’actualité ? Ces forêts sont-elles désormais un patrimoine à préserver ? Faut-il vraiment restaurer le paysage en landes, elles même façonnées par l’homme, lui qui a rasé les forêts d’origine ?

Les agriculteurs, premiers acteurs de nos paysages, n’ont pas échappé à la mécanisation de nos vies, loin s’en faut. De tous temps leur métier est une tâche difficile. « Dire qu’on ne fait rien (à propos de l’agriculture) est de la pure polémique. Dire que tout va bien aussi… »

 

La sixième extinction de masse est-elle vraiment en cours ?

« La dramatisation est porteuse d‘ouverture médiatique ».

Toutes les prédictions antérieures d’extinction massive depuis plus de trente ans se sont avérées fausses.

L’Europe est une zone de reconquête biologique, en d’autres termes sa relative pauvreté endémique (due aux successions des glaciations) est amplement compensée par les introductions d’espèces, qu’elles soient d’origine humaine ou non. On parle souvent de ce qui disparaît (ou semble disparaître) en occultant ce qui est en train de se développer. « Nous sommes loin de la catastrophe annoncée ».

 

Christian Lévêque n’a pas que des amis dans le monde de l’écologie, et c’est bien normal.

Remettre en cause ce qui est fait du mot « biodiversité » ne peut que heurter une apparence de bon sens.

Prouver par les faits que la nature n’est ni bonne, ni mauvaise et qu’elle ne peut avoir d’intention, prouver que la notion d’équilibre est une erreur qui consiste à vouloir bloquer ce qui est en mouvement.

Prouver que nos paysages sont le fruit d’une longue interaction entre humains et nature. Prouver que le hasard et la conjoncture y ont été pour beaucoup, prouver qu’il n’y a pas « d’idéal » pour un écosystème.

Autant dire : bousculer des certitudes jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, questionner ce qui « transitionne », ce qui est « durable », s’exposer à des raccourcis fallacieux. Cela fait beaucoup d’icones à briser. Quand un ancien ministre de l’écologie on ne peut plus médiatique lançait, à propos de la crise du coronavirus, « la nature nous lance un ultimatum », reconnaissons qu’il y a un problème...dans le problème.

 

« Mettre sous cloche, ou accompagner ? »

Christian Lévêque pose une batterie de questions sur notre relation à la nature, quitte à bousculer des certitudes et révéler un problème de perception de la relation humains/nature, ce en quoi elles ont amplement le mérite d’être posées. Pour autant on ne peut soupçonner l’auteur, par ses nombreux exemples, de ne pas vouloir la protéger. On peut très bien vouloir « sacraliser » la nature. Cependant l’objectif de la conserver à tout prix dans un état le plus « sauvage » possible est-il pertinent, alors qu’elle est en mouvement, qu’elle n’a jamais été et qu’elle ne saura rester telle que nous l’imaginons ? Christian Lévêque « le dit tout net », et ses arguments sont indispensables : « Mettre sous cloche, ou accompagner ? »

 

Raymond Gabriel, avril 2020

 

Quelques liens

 

Notes de lecture par Yann Kindo du livre de Patrick Blandin Biodiversité : L’avenir du vivant (Albin Michel) où la biodiversité est questionnée. L’auteur « prend ses distances avec certains canons du discours « écologiste » dominant », en particulier sur la dynamique du vivant.

https://www.pseudo-sciences.org/Biodiversite-L-avenir-du-vivant

 

Une conférence passionnante de André Fougeroux sur la très médiatisée problématique des abeilles qui en expose les aspects multi-factoriels et surtout les remet en perspective et dans le bon ordre, comme un antidote au « prêt-à penser ». Lors des questions posées en toute fin, le conférencier cite l’existence du présent livre de Christian Lévêque.

https://www.afis.org/La-mortalite-des-abeilles-4362

 

Un article « anti-Lévêque » au titre fallacieux, où la position de l’écologue est pourtant bien expliquée (!), puisqu’il démontre que l’écologie politique n’a (plus) rien à voir avec la science ! On admirera la logique fallacieuse du rédacteur pour un public théoriquement conquis d’avance : si C. Lévêque remet en cause les dogmes de la biodiversité c’est donc qu’il est…climato-sceptique (l’article précisant qu’il ne l’est pas !), d’où le titre hallucinant qui démontre sa propre idéologie.

https://sciencescitoyennes.org/communique-christian-leveque/

 

La destruction de la biodiversité a-t-elle engendré le Coronavirus ? Dans le contexte de la crise du Covid-19, un article du 8 avril 2020 par Christian Lévêque, « choix de la rédaction » sur European Scientist.

https://www.europeanscientist.com/fr/environnement/la-destruction-de-la-biodiversite-a-t-elle-engendre-le-coronavirus/?fbclid=IwAR1mhp_0U--elnRDTBP-45mO-7dy63wkKEbJqMUtDyzH7BQF-jbnQn-b6tg

 

Bibliographie

Faut-il avoir peur des introductions d'espèces ? éditions Le Pommier. Un petit livre très intéressant du même auteur qui interroge sur l’introduction d’espèces par les humains.

 

La forêt au Moyen âge (S. Bépoix & H. Richard) éditions Les Belles Lettres. La preuve par l’histoire que les représentations que nous nous faisons des paysages français sont loin de cadrer avec nos impressions.

 

 

 

Tag(s) : #biodiversité nature
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